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Une peu d’histoire

SAVIGNY-sur-ARDRES : « L’APPEL » oublié du 21 mai 1940

Le colonel de Gaulle à Savigny-sur-Ardres

Après avoir livré, le 17 mai 1940 à Montcornet, puis au cours des jours suivants dans le secteur de Laon, une bataille de retardement face à l’offensive des blindés allemands du général Guderian, le colonel Charles de Gaulle, commandant de la 4e division cuirassée, ayant reçu l’ordre de battre en retraite, replie sa division à Savigny-sur-Ardres, un petit village de la Marne, à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Reims.

Le 20 mai, dans la soirée, il installe son poste de commandement dans une ferme à cour fermée appelée « le Vieux château », propriété du comte Joseph Tirant de Bury1. Sa mission : regrouper sa division. Les officiers d’état-major et le colonel lui-même reprennent contact avec les commandants des unités de chars pour faire le point sur les possibilités d’action de la division pour réduire la tête de pont d’Abbeville, quelques jours plus tard.

La famille Tirant de Bury possédait, dans le village, un château plus important, malheureusement détruit par les Allemands au cours de la Première guerre mondiale.

Le village est désert, ses habitants ont pris le chemin de l’exode. Mais la demeure n’est pas, comme il le croyait, inoccupée. En effet, Joseph, le chef de famille, était parti en voiture quelques jours plus tôt afin de mettre leurs trois enfants en sécurité, tandis que Marthe, son épouse, infirmière pendant la Grande guerre, femme de caractère, était restée seule afin de veiller sur la vieille demeure et pouvoir, le cas échéant, accueillir des soldats blessés et les soigner.

En arrivant au Vieux château, de Gaulle lui dit : « Madame, vous êtes digne d’éloges1 », et explique que sa maison et les dépendances sont réquisitionnées pour les besoins de la guerre. Une seule chambre est laissée à la disposition de la propriétaire avec interdiction d’en sortir. Les repas lui seront apportés.

A cette époque, il y avait une émission à la radiodiffusion française, à 18 heures, « Le quart d’heure du soldat », dirigée par le capitaine Alex Surchamp, officier des services de propagande du Grand Quartier général.

Le 21 mai 1940, Surchamp, avec un camion d’enregistrement et deux techniciens, est envoyé à Savigny pour interviewer un certain colonel de Gaulle « qui se débrouillait pas mal à Montcornet ». Le but est de contrer le défaitisme qui envahissait la population, civils et militaires confondus, démoralisée par l’offensive éclair des blindés allemands.

Le commandant de la 4e DCR comprend aussitôt les ressources à tirer de cet enregistrement et marque son accord.

Pour la première fois de sa vie, Charles de Gaulle s’avance vers un micro pour s’adresser au peuple de France. Il y va sans timidité. Les sept assistants en resteront saisis jusqu’à la fin de leurs jours, à commencer par Alex Surchamp, le professionnel. Ils attendaient un témoignage de combattant ; c’est un appel à la nation sur la conduite de la guerre dans les mois et les années à venir.

Enregistrée dans la cour devant la porte fenêtre du salon, cette allocution fut radiodiffusée le 2 juin 1940 – ou, peut-être le 28 mai, selon différentes sources – dans le cadre de l’émission Le Quart d’heure du soldat.

« C’est la guerre mécanique qui a commencé le 10 mai. En l’air et sur la terre, l’engin mécanique, avion ou char, est l’élément principal de la force.
L’ennemi a remporté sur nous un avantage initial
. Pourquoi ? Uniquement parce qu’il a plus tôt et plus complètement que nous mis à profit cette vérité.
Ses succès
du début lui viennent de ses divisions blindées et de son aviation de bombardement, pas d’autre chose !
Eh bien ! nos succès de demain et notre victoire
, oui, notre victoire nous viendront un jour de nos divisions cuirassées et de notre aviation d’attaque. Il y a des signes précurseurs de cette victoire mécanique de la France.
Le
chef qui vous parle a l’honneur de commander une division cuirassée française. Cette division vient de durement combattre. Eh bien ! on peut dire très simplement, très gravement, sans nulle vantardise, que cette division a dominé le champ de bataille de la première à la dernière heure du combat.
Tous ceux qui y servent, général aussi bien que le plus simple de ses troupiers, ont retiré de cette expérience une confiance absolue dans la puissance d’un tel instrument.
C’est cela qu’il nous faut pour vaincre.

Grâce à cela, nous avons déjà vaincu sur un point de la ligne.
Grâce à cela, un jour, nous vaincrons sur toute la ligne . »


Archives nationales : manuscrit de l’appel du 21 mai 1940 à Savigny-sur-Ardres

La grand-mère Marthe a toujours gardé le souvenir que ce colonel lui avait fait une forte impression tant par son assurance que par sa taille. Il devait baisser la tête pour monter à l’étage et gagner la « chambre bleue » restée, elle aussi, inchangée. A son départ, le 22 mai 1940, de Gaulle remercia chaleureusement Marthe, promettant de revenir à Savigny-sur-Ardres. Mais « il n’est jamais revenu », regrette toujours son petit-fils, Hervé.

Le même jour, le 21 mai 1940, de Gaulle trouve encore le temps d’écrire une lettre à sa femme Yvonne restée à Colombey-les-Deux-Églises avec les trois enfants, et dont il est sans nouvelles. Il lui fait part, à mots couverts, des succès qu’il vient de remporter à Montcornet et s’efforce de la rassurer, tout en lui demandant de se « replier si cela devenait nécessaire ».

Ma chère petite femme chérie,

   Je t’écris au sortir d’une longue et dure bagarre qui s’est, d’ailleurs, très bien déroulée pour moi. Ma division se forme en combattant et l’on ne me refuse pas les moyens, car si l’atmosphère générale est mauvaise, elle est excellente pour ton mari.   

Je ne sais où vont les événements. Cependant j’ai aujourd’hui une impression un tantinet meilleure que notre commandement commence à se ressaisir. Cependant sois prête à te replier si cela devenait nécessaire. Je n’ai aucune lettre, cela ne te surprendra pas […]

Le jour de ta fête, j’étais en plein combat et ce combat – chose rare depuis le début de cette guerre – fut un combat heureux. Dans la pensée je t’ai envoyé mes vœux les plus tendres, Yvonne.

1Charles de Gaulle, Lettres, notes et carnets, 1919-juin 1940, Plon, 1980, p.496.

50e anniversaire de l’« appel du 21 mai 1940 »

Le 26 mai 1990, Savigny-sur-Ardres a voulu célébrer le 50e anniversaire de l’ « appel radiophonique » du colonel de Gaulle, le 21 mai 1940. Lors d’une émouvante cérémonie, une plaque commémorative apposée sur le mur d’enceinte du Vieux château a été inaugurée en présence du général de Boissieu, de son épouse Élisabeth de Gaulle, du maire de Savigny, le comte Albert Tirant de Bury et de représentants de l’armée.

Si l’on se réfère au témoignage de l’ancien instituteur, Philippe Causse, devenu par la suite maire du village, le sous-préfet de l’époque, Hafnaoui Cheriet, « n’était pas chaud. Il pensait qu’il ne fallait pas toucher au 18 juin comme unique référence ».


Le comte et la comtesse Albert Tirant de Bury accueillent le général Alain de Boissieu et son épouse, Élisabeth de Gaulle à leur arrivée à Savigny-sur-Ardres (26 mai 1990).

L’allocution du colonel de Gaulle, enregistrée le 21 mai 1940 à Savigny-sur-Ardres n’avait guère laissé de traces et avait été très vite effacée après la guerre par l’Appel historique du 18 juin 1940.

Redécouverte et revisitée dans les années 1980 par Jean Lacouture en 1984, puis par Anne et Pierre Rouanet en 1985, cette allocution fut alors considérée comme une préfiguration de l’Appel du 18 juin 1940 avec lequel elle présentait de nombreuses analogies, et fut qualifiée d’ « appel du 21 mai 1940 » ou d’ « appel avant l’appel » et même de « primitif du gaullisme radiophonique ». (J-P Husson)

La proposition adressée à l’UNESCO en juin 2004 par Emmanuel HOOG, PDG de l’Institut national de l’Audiovisuel (INA), d’inscrire au Programme « Mémoire du Monde » de l’UNESCO, les documents d’archives relatifs à l’Appel du 18 juin 1940, considère dans son annexe 1 que le texte de l’allocution enregistrée à Savigny-sur-Ardres, le 21 mai 1940, « présente de profondes analogies avec l’Appel du 18 juin et en constitue la préfiguration ». (J-P Husson)

Le 18 juin 2009, à l’occasion de la Journée nationale commémorative de l’appel historique du général de Gaulle à refuser la défaite et à poursuivre le combat contre l’ennemi, le message du secrétaire d’État à la Défense et aux Anciens combattants, Jean-Marie Bockel, a pour la première fois, fait clairement référence au « premier appel radiodiffusé » de Charles de Gaulle, enregistré à Savigny-sur-Ardres, le 21 mai 1940, dont il a cité les principaux passages.

Des analogies entre les deux appels

Appel du 21 mai 1940 : « … Cette division vient de durement combattre ; eh bien ! on peut dire très simplement, très gravement – sans nulle vantardise – que cette division a dominé le champ de bataille de la première à la dernière heure du combat. Tous ceux qui y servent, général1 aussi bien que le plus simple de ses troupiers, ont retiré de cette expérience une confiance absolue … »

Appel du 18 juin 1940: « Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause … »

Appel du 21 mai 1940 : « … Grâce à cela nous avons vaincu sur un point de la ligne. Grâce à cela, un jour nous vaincrons sur toute la ligne. »

Appel du 18 juin : « … Rien n’est perdu pour la France. […] Nous pourrons vaincre dans l’avenir par une force mécanique supérieure. »

Appel du 21 mai : « … L’ennemi a remporté sur nous un avantage initial. […] Ses succès du début lui viennent de ses divisions blindées et de son aviation de bombardement … »

Appel du 18 juin : « … Ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui nous font reculer … »

Appel du 21 mai : « … Eh bien ! nos succès de demain et notre victoire, nous viendront un jour de nos divisions cuirassées et de notre aviation d’attaque … »

Appel du 18 juin : « Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire. »

En résumé, on observe d’abord la constatation de l’échec initial et l’analyse de ses causes, de celles du moins dont la correction dépendra des Français. Ensuite, l’analyse des forces qui seront mises en jeu dans la suite des combats. Enfin, la constatation que la balance penchera progressivement en faveur du camp de la Liberté pour peu que ces forces soient organisées à cette fin. Et conclusion : la Victoire étant au bout, il serait contraire à l’intérêt de la France et des Français de s’en laisser détourner au premier choc, si destructeur qu’il ait été.

Entre le 21 mai et le 18 juin 1940, de Gaulle n’a pas changé, ce sont les autres qui ont lâché2.